Jurisprudences

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OHADA (CCJA)

 

 

 

C.C.J.A. 1ère CHAMBRE

ARRET N° 11 DU 08 MARS 2012

Affaire:  Y     C/      O
Contrat de bail – bail commercial – Sous location – Autorisation du bailleur (non) – Perception des loyers par le locataire – Préjudice subi par le bailleur du fait de la sous-location – Inobservation des articles 86, 87 et 89 de l’AUDCG – Résiliation du bail (oui) – Expulsion.

Le bail doit être résilié et le locataire expulsé des lieux, dès lors qu’il a sous-loué les lieux sans l’autorisation du bailleur et a causé un préjudice à celui- ci du fait de la sous location. En ignorant la sous location non autorisée par le bailleur et le préjudice subi du fait de cette sous location, la Cour d’appel a violé autant les dispositions du contrat liant les deux parties que celles des articles 86, 87 et 89 de l’AUDCG.

 

Sur le pourvoi enregistré au greffe de la Cour de céans le 25 novembre 2008, sous le n°103/2008/PC et formé par Maître TANO KOUADIO Emmanuel, Ancien Bâtonnier, Avocat près la Cour d’appel d’Abidjan y demeurant, 1 Rue Canebière Cocody Danga, Résidence Angel RDC (face Société SODIPAS), route du Lycée technique, 01 BP 5806 Abidjan 01, agissant au nom de dame Y (ci-après Y), ménagère domiciliée à Yopougon SOGEFIA SOLIC II appartement n°242, dans la cause l’opposant à Monsieur O, ayant pour conseil Maître Mensah Brigitte, Avocat à la Cour, demeurant à Cocody Riviera Palmeraie, 06 BP 366 Abidjan 06,

 

En cassation de l’Arrêt n°606/civ4/B rendu le 25 juillet 2008 par la Cour d’appel d’Abidjan dont le dispositif est ainsi énoncé :

« Statuant publiquement et contradictoirement en matière civile et en dernier ressort ;

-Vu l’arrêt avant-dire-droit n°220/Civ4/B du 07 mars 2008 rendu par la Cour d’Appel d’Abidjan ;

-Au fond, dit O bien fondé en son appel ;

-Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;               

Statuant à nouveau ;

-Déboute dame Y de sa demande d’expulsion ;

-Condamne dame Y à lui payer à titre de remboursement la somme de un million de francs CFA ;

-Condamne dame Y aux dépens » ;

 

Sur le rapport de Monsieur le Juge Marcel SEREKOÏSSE-SAMBA ;

 

La requérante invoque à l’appui de son pourvoi le moyen unique de cassation tel qu’il figure à la requête annexée au présent arrêt ;

 

Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;

 

Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;

 

Attendu que par contrat verbal du 25 juillet 2000, dame Y, avait consenti un bail à usage d’habitation sur son appartement n° 1421, îlot 82-3 bloc 203 sis à Yopougon Siporex (Abidjan), au sieur O (ci-après O) ; qu’à la demande de celui-ci, dame Y accepta et signa le 07 octobre 2003 un contrat sous-seing privé sur le même appartement, qu’il transforma en bail à usage commercial (article 8 du contrat) d’une durée de six (06) ans ;

 

que le préambule identifiant les parties au contrat faisait engager O « à être le locataire, à construire un magasin à l’arrière du logement et à aménager tout le bâtiment » ;

 

que le loyer mensuel convenu fut fixé à 85.000 FCFA, dont à déduire par le locataire tout aussi mensuellement pendant toute la durée du contrat, la somme de 15.000 FCFA à titre de remboursement des frais par lui exposés pour les travaux de construction du magasin et de réhabilitation des lieux loués ; qu’en lieu et place d’un seul magasin, O construisit et aménagea plusieurs compartiments qu’il donna à son tour à bail, d’une part à usage commercial à dame D, aux sieurs W, F, K et, d’autre part, à usage d’habitation aux dames J, B et au sieur K; que tous ces sous-locataires déclarèrent unanimement qu’ils tenaient leurs droits de O qui se comportait comme le véritable propriétaire des lieux et à qui ils s’acquittaient régulièrement des loyers à des montants variés ;

 

Attendu que malgré la perception régulière des loyers, O n’honora pas ses propres obligations à l’égard de Y qui, exaspérée par l’indifférence de son locataire devant ses multiples relances à l’amiable, décida de lui retirer toute confiance et donna le 24 mai 2007 désormais mandat au sieur D, Conseiller juridique habitant à Yopougon-Gare, « pour gérer mon appartement sis à Yopougon Siporex III, parcelle BH 1485 lot 1421 îlot 82-3 bloc 203 qui comprend à ce jour des logements et des magasins…. ; représentera mes intérêts et ceux de ma famille en tout lieu et à tout moment où besoin sera, devant n’importe quelle autorité tant civile que judiciaire… » ;que le 18 juin 2007, Y confirma par écrit la rupture de ses relations contractuelles avec Okou qui, mécontent de son éviction, fit citer Y le 29 juin 2007 devant le tribunal correctionnel de Yopougon pour une audience du 09 juillet 2004 ; procédure qui ne connut aucune issue ;

 

que dame Y à son tour, vexée par cette action publique, fit délivrer le lendemain 30 juin 2007 à O une « mise en demeure de payer et de respecter les clauses et conditions du contrat de bail commercial » ; qu’ensuite, le 02 août 2007, Y assigna « en résiliation de contrat de bail commercial, en expulsion, en paiement et en dommages intérêts » O et ses sept (7) sous-locataires ci-dessus désignés, devant le Tribunal de Première Instance de Yopougon, statuant en matière civile et commerciale ;

 

Attendu que par jugement du 27 août 2007, le Tribunal déclara l’action de Y « partiellement fondée ; prononça la résiliation du contrat de bail ; ordonna l’expulsion de O des lieux qu’il occupe tant de sa personne, de ses biens que de tous occupants de son chef ; donna acte à dame Y de ce qu’elle renonce à réclamer le paiement des arriérés de loyers ; ordonna l’exécution provisoire de cette décision et condamna O aux dépens de l’instance » ;que le 25 septembre 2007, O sollicita du Président de la Cour d’appel d’Abidjan, en même temps qu’il formait appel du jugement sus énoncé, la suspension de l’exécution dudit jugement ; que le Président fit droit à la requête de sieur O par Ordonnance du 03 octobre 2007 ;

que le 25 juillet 2008, par arrêt n°606/Civ4/B, signifié à Yao le 29 septembre 2008, la Cour d’Appel d’Abidjan prit la décision frappée du présent recours ;

 

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches

Sur la première branche

Vu les articles 80 et 81 de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général ;

 

Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué :

– d’une part, d’avoir violé les articles 80 et 81 de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général en ce qu’il a conclu que  c’est à tort que le premier juge soutient que le locataire n’a pas respecté son obligation de payer les loyers et que dame Y a augmenté unilatéralement et abusivement le loyer, alors même que non seulement le locataire lui-même ne rapporte pas la preuve du paiement de ses loyers, mais aussi que le retrait du mandat donné au locataire O ne pouvait avoir d’incidence sur le paiement du loyer, car sa qualité de locataire demeure ;

– d’autre part, d’ avoir occulté le préjudice subi du fait des sous-locations en estimant que dame Y était mal fondée à demander la résiliation du contrat, alors qu’en louant les locaux à des tierces personnes à usage commercial et d’habitation, O a adjoint des activités complémentaires qui occasionnent à Y non seulement un préjudice économique puisqu’elle avait fixé le loyer en raison de ce qu’il exploitait seul le local, mais surtout, que ces activités complémentaires entrainaient certainement une dégradation importante et accélérée de son bien immobilier ;

 

Attendu que l’article 90 de l’AUDCG stipule que « lorsque le loyer de la sous-location totale ou partielle est supérieur au prix du bail principal, le bailleur a la faculté d’exiger une augmentation correspondante du prix du bail principal, augmentation qui, à défaut d’accord entre les parties, est fixée par la juridiction compétente… » ;

 

Qu’en d’autres termes et en l’espèce, O avait l’obligation, suite à la décision unilatérale de Y d’augmenter le loyer, de saisir le juge pour lui demander de fixer le loyer ou de consigner immédiatement les loyers échus auprès d’un séquestre ;

 

Attendu que c’est après la signification le 29 septembre 2008 à Yao de l’arrêt de la Cour d’Appel d’Abidjan que sieur O a effectué le 06 octobre 2008 une première consignation de la somme de 147.000 FCFA et une seconde de 73.500 FCFA le 12 novembre 2008, à titre de paiement des arriérés des loyers de mai, juin et juillet 2007 ;

 

qu’ainsi, à la date du déclenchement de la mise en demeure le 30 juin 2007 jusqu’à la décision de la Cour d’appel le 25 juillet 2008, O n’avait pas encore rempli son obligation de payer les loyers ; que les loyers échus n’ayant pas été consignés avant toute procédure ou que sieur Okou n’ayant pas pris l’initiative de saisir le juge du fond relativement à un conflit sur le prix du loyer, c’est à bon droit que le premier juge a conclu à la violation par O de la principale obligation du locataire et en a justement tiré les conséquences de droit en prononçant la résiliation du contrat ; que l’ arrêt manque de base légale résultant d’insuffisance ou d’obscurité de motifs entraînant la cassation ;

 

Sur la seconde branche du moyen 

Vu l’article 89 de l’Acte uniforme relatif au Droit Commercial Général ;

 

Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué d’avoir violé l’article 89 de l’AUDCG, en ce que O a donné en sous location à plusieurs personnes le local qui lui avait été donné seul à bail commercial, alors qu’aux termes de cet article 89, « sauf stipulation contraire du bail, toute sous-location totale ou partielle est interdite… » ;

 

Attendu qu’il s’induit du préambule du contrat du 07 mars 2003 entre Y et O et de l’article 9 dudit contrat que sieur O était le seullocataire, et que la construction du magasin et l’aménagement du bâtiment devaient être réalisés dans le seul intérêt de ses activités ; qu’en multipliant des magasins et des logements, puis en y admettant d’autres personnes sous contrat de bail, O a bien procédé à une sous-location non autorisée dans le contrat, ni notifiée par écrit au bailleur tel que prescrit et sanctionné par les articles 86 et 87 de l’AUDCG ; qu’en déboutant dame Yao de sa demande d’expulsion, la Cour d’Appel d’Abidjan a méconnu l’article 89 de l’AUDCG et sa décision encourt cassation ;

 

Sur l’évocation

Attendu que le 07 octobre 2003, dame Yao concéda à Okou un bail à usage commercial sur son appartement sis à Yopougon pour une durée de six (06) ans, moyennant un loyer mensuel de 85.000 FCFA ; Que la bailleresse autorisa son locataire à construire un magasin à l’arrière du logement et à réhabiliter tout le bâtiment ; que les travaux devant être réalisés sur les fonds propres du locataire, les parties convinrent de la déduction mensuelle sur les loyers à venir de la somme de 15.000 F CFA jusqu’à la fin du contrat, ramenant ainsi le loyer mensuel à 70.000 F CFA ; que faisant fît de ces dispositions contractuelles, O construisit et aménagea plusieurs compartiments qu’il donna à bail d’habitation et d’activités commerciales, respectivement à :

– W : usage commercial depuis neuf (9) mois à la date de la sommation interpellative ; loyer mensuel : 50.000 FCFA ;

– D : usage commercial depuis trois (3) ans à la date de la sommation interpellative ; loyer mensuel : 15.000 FCFA ;

– F: usage commercial depuis cinq (5) ans à la date de la sommation interpellative ; loyer mensuel : 50.000 FCFA ;

– K: usage commercial depuis un (1) an à la date de la sommation interpellative ; loyer mensuel : 21.000 FCFA ;

– J : usage d’habitation loyer mensuel : 20.000 FCFA ;

B : usage d’habitation, loyer mensuel : 15.000 FCFA ;

– K : usage d’habitation, loyer mensuel : 20.000 FCFA ;

 

Attendu que le montant total des sous-loyers que percevait O s’élevaient mensuellement à 191.000 FCFA, contre un loyer de 70.000 FCFA impayé sur trois mois, soit un enrichissement mensuel sans cause de O et un préjudice économique mensuel pour dame Y de 121.000 FCFA ; que dans ces conditions, il s’impose de faire droit à la demande de dame Y, tendant à obtenir la résiliation du bail et l’expulsion du sieur O des lieux qu’il occupe tant de sa personne, de ses biens que de tous occupants de son chef  et de prendre acte de ce que, non seulement dame Y avait renoncé devant le premier juge à réclamer ses arriérés de loyers, mais qu’ en outre, devant la Cour de céans, elle ne demande, ni ne précise une quelconque réparation pécuniaire ;

 

Attendu que la Cour d’Appel d’Abidjan, en ignorant la sous-location non autorisée par la bailleresse Y et le préjudice qu’elle a subi du fait de cette sous-location, a violé autant les dispositions du contrat liant les deux parties que celles des articles 86, 87 et 89 de l’AUDCG ;

Attendu que sieur O ayant succombé, il échet de le condamner aux dépens ;

 

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, après en avoir délibéré,

 

Déclare recevable le pourvoi formé le 25 novembre 2008 par dame Y ;

 

Casse l’arrêt n°606/Civ/B rendu le 25 juillet 2008 par la Cour d’appel d’Abidjan ;

 

Evoquant et statuant sur le fond :

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